Les "données probantes" à la mode de chez nous!


"On peut aussi définir les données probantes comme étant les « meilleures données de recherche et d’évaluation disponibles fondées sur une analyse systématique de l’efficacité d’une intervention, d’une stratégie ou d’un service et de son utilisation, en vue d’obtenir les meilleurs résultats, conclusions ou effets possible. Les données probantes peuvent provenir de plusieurs méthodologies de recherche et d’évaluation quantitatives et qualitatives rigoureusement mises en œuvre et pertinentes."

Il n'y a pas si longtemps, le "flexible seating" était à la mode, "le Brain gym" ou les blocs Lego en mathématiques, de même que les tableaux blancs interactifs et les Ipads. Depuis quelques temps déjà on parle de "pratiques gagnantes" ou de "pratiques efficaces" dans les corridors de l'école. Sur les réseaux sociaux, on emploie l'expression "données probantes" dans tous les discours. Pourquoi sommes-nous si friands de nouveautés en éducation? Pourquoi?

"Données probantes" par-ci, "données probantes" par-là... Pourquoi?

Est-ce que c'est une expression jolie qu'il faut employer à toutes les sauces pour montrer qu'on s'y connaît maintenant en éducation?  Est-ce que les intervenants en éducation sont de simples consommateurs qui se laissent guider par les tendances de l'heure? Est-ce que tout le monde a lu Hattie?

Je me demande si ces "données probantes" à la mode, à la mode...vont avoir un réel impact et changer les pratiques en enseignement. Pour l'instant, je ne crois pas. 

Aux débuts des années 2000, j'étais responsable de l'implantation de la Réforme de l'éducation dans mon école et on nous ventait la pédagogie par projets. Étant curieuse de nature et passionnée, j'ai toujours été à l'affût des nouveautés en éducation. Mon expérience de conseillère pédagogique m'a amenée à découvrir différentes approches pédagogiques et à m'y intéresser au point de donner de la formation à mes collègues. J'ai suivi des formations sur les techniques d'impact, la programmation neurolinguistique, les intelligences multiples et j'en passe! Malheureusement, j'ai su beaucoup plus tard que ces théories n'avaient aucune base scientifique solide. Mes croyances étaient fausses! Je ne suis pas la seule. Plusieurs enseignants comme moi adhèrent facilement à des croyances non fondées. On parle alors de mythes, de neuromythes, de légendes pédagogiques...

Un jour, monsieur Steve Bissonnette, professeur à la TÉLUQ, est venu à notre école et nous a donné deux jours de formation. Ce jour-là j'ai vécu un gros conflit cognitif, il a ébranlé mes convictions qui étaient en fait des conceptions erronées. Ce jour-là j'apprenais que les approches pédagogiques auxquelles je croyais et qui avaient même été prônées par le Ministère de l'Éducation, n'étaient pas considérées efficaces pour la réussite des élèves. 

Je vous raconte cette anecdote car ce jour-là, j'ai appris. Cet expert sur les approches pédagogiques a confronté mes idées préconçues et a fait émerger des prises de conscience. Il est le déclencheur d'un changement majeur de ma vision pédagogique. Je pense que tous les enseignants doivent confronter leurs idées, leurs valeurs et leurs conceptions sur l'apprentissage afin d'évoluer et devenir un meilleur enseignant. Mais avons-nous le temps? Prenons-nous le temps?

Sans interactions sociales ni discussions avec nos collègues sur la pédagogie, comment pouvons-nous transformer nos pratiques? 

À mon avis, le changement exige beaucoup de temps. Ce ne sont ni les manuels de la Chenelière Didactique ni les méta-analyses de Hattie ni les données probantes qui vont faire la différence dans les salles de classes. Toutes ces sources d'informations pertinentes et ces bases de données peuvent être tout au plus, les points de départ d'une réflexion sur nos pratiques pédagogiques. Parfois même, faire une lecture, ou recevoir une journée de formation professionnelle sont des occasions pour se remettre en question.  Souvent il est plus facile d'ignorer ou d'éviter les situations confrontantes et ne rien changer du tout. Comme vous les savez, je suis du genre plutôt curieuse, je désire toujours aller plus loin dans ma démarche de développement professionnel et j'ai une attitude assez ouverte face au changement. Je pense que lorsque la réflexion s'entame vraiment, le processus de transformation des pratiques peut être long, surtout en éducation. Il faut faire mourir ses habitudes.

Je crois que les changements de pratique en enseignement s'opèrent lorsqu'on a consacré un certain temps à réfléchir à ce qu'on fait et pourquoi on le fait. Il faut des interactions constantes entre la théorie et la pratique, entre l'action et la réflexion. Cette année, grâce aux ateliers d'écriture, nous nous permettons les conditions d'un réel apprentissage. Nous vivons cette expérience en équipe-école, nous partageons nos réflexions sur nos pratiques et nous apprenons ensemble, les uns des autres. 

Pour devenir un meilleur enseignant, il faut se remettre en question tous les jours, faire des liens entre les programmes de formation et les apprentissages réels des élèves, observer les élèves, prendre des notes, confronter nos croyances, analyser nos actions etc. Avec les années, les enseignants sont capables de se demander les questions suivantes et d'y répondre:

"Quelles sont les approches, les méthodes, les stratégies d'enseignement qui sont déjà présentes dans les situations d'apprentissage vécues avec mes élèves que JE considère "gagnantes"?" 

Par la suite, il sera possible de se demander:

"Qu'est-ce que ces situations d'apprentissages jugées "gagnantes" ont en commun?"

-Est-ce parce que les élèves ont plus de place et qu'ils sont plus responsables de leur apprentissage?
-Est-ce parce que le rythme de chacun est respecté?
-Est-ce parce qu'il y a beaucoup de place aux échanges, au travail d'équipe et aux interactions?
-Est-ce parce que l'enseignement est plus explicite? Moins traditionnel?
-Est-ce parce que les apprentissages sont plus viables? Plus transférables? Plus signifiants?
-Est-ce parce que l'accent est mis sur le développement de la compétence plutôt que sur la transmission de connaissances?
-Ont-elles un lien particulier avec mes valeurs, mes convictions, mes croyances?

Une autre question très pertinente à se poser: 
"Quelles sont les traces recueillies qui prouvent que mes élèves apprennent?"

Tout ceux qui oeuvrent en éducation savent qu'il y a toujours des nouveautés dans ce domaine. Il est clair que plusieurs entreprises et maisons d'édition ont compris qu'il y a beaucoup d'argent à faire avec les profs. En tant que "vendeurs", ils sont des experts en techniques de séduction. Il suffit simplement de convaincre les profs que leur matériel didactique est le meilleur pour que les ventes augmentent! J'ai souvent l'impression que les enseignants sont comme des poissons affamés qui mordent facilement à l'hameçon. Un matériel avec de belles calligraphies, de belles pages colorées et quelques images amusantes et le tour est joué!

Si l'enseignant est comme un exécutant qui met en pratique les nouveautés de l'heure et les nouvelles tendances sans réfléchir à leurs fondements, il se leurre.

Je considère que les expressions "pratiques efficaces" et "données probantes" sont vides de sens pour celui qui l'utilise, si celui-ci n'a pas eu de réflexion profonde sur sa propre pratique pédagogique. Car celui qui ne réfléchit pas sur sa pratique est le consommateur des produits "à la mode de chez nous!"





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